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LES MENEURS DES FOULES

nos actions. Au bout de quelque temps, nous ne savons plus quel est l’auteur de l’assertion répétée, et nous finissons par y croire. De là la force étonnante de l’annonce. Quand nous avons lu cent fois, mille fois que le meilleur chocolat est le chocolat nous nous imaginons l’avoir entendu dire de bien des côtés, et nous finissons par en avoir la certitude. Quand nous avons lu mille fois que la farine Y a guéri les plus grands personnages des maladies les plus tenaces, nous finissons par être tentés de l’essayer le jour où nous sommes par atteints d’une maladie du même genre. Si nous lisons toujours dans le même journal que est un parfait gredin et un très honnête homme, nous finissons par en être convaincus, à moins, bien entendu, que nous ne lisions souvent un autre journal d’opinion contraire, où les deux qualificatifs soient inversés. L’affirmation et la répétition sont seules assez puissantes pour pouvoir se combattre.

Lorsqu’une affirmation a été suffisamment répétée, et qu’il y a unanimité dans la répétition, comme cela est arrivé pour certaines entreprises financières célèbres assez riches pour acheter tous les concours, il se forme ce qu’on appelle un courant d’opinion et le puissant mécanisme de la contagion intervient. Dans les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des microbes. Ce phénomène est très naturel puisqu’on l’observe chez les animaux eux-mêmes dès qu’il sont en foule. Le tic d’un cheval dans une écurie est bientôt imité par les autres chevaux de la même écurie. Une panique, un mouvement désordonné de quelques moutons s’étend bientôt à tout le troupeau. Chez l’homme en