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LES MENEURS DES FOULES

immortel auteur. « Et il contait, de jour en jour, par épisodes, l’épopée du canal. Il contait tout ce qu’il avait dû vaincre, tout l’impossible qu’il avait fait possible, toutes les résistances, les coalitions contre lui, et les déboires, les revers, les défaites, mais qui n’avaient pu jamais le décourager, ni l’abattre ; il rappelait l’Angleterre le combattant, l’attaquant sans relâche, et l’Égypte et la France hésitantes, et le consul de France s’opposant plus que tout autre aux premiers travaux, et comme on lui résistait, prenant les ouvriers par la soif, leur faisant refuser l’eau douce ; et le ministère de la marine et les ingénieurs, tous les hommes sérieux, d’expérience et de science, tous naturellement hostiles, et tous scientifiquement assurés du désastre, le calculant et le promettant, comme pour tel jour ou telle heure on promet l’éclipse. »

Le livre qui raconterait la vie de tous ces grands meneurs ne contiendrait pas beaucoup de noms ; mais ces noms ont été à la tête des événements les plus importants de la civilisation et de l’histoire.


§ 2. — LES MOYENS D’ACTION DES MENEURS : L’AFFIRMATION, LA RÉPÉTITION, LA CONTAGION.

Lorsqu’il s’agit d’entraîner une foule pour un instant, et de la déterminer à commettre un acte quelconque : piller un palais, se faire massacrer pour défendre une place forte ou une barricade, il faut agir sur elle par des suggestions rapides, dont la plus énergique est encore l’exemple ; mais il faut alors que la foule soit déjà préparée par certaines circonstances, et surtout que celui