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FACTEURS IMMÉDIATS DES OPINIONS

sinon une institution essentiellement aristocratique formée d’une réunion de petits despotes dominant une foule d’esclaves maintenus dans la plus absolue sujétion. Ces aristocraties communales, basées sur l’esclavage, n’auraient pu exister un instant sans lui.

Et le mot liberté, que pouvait-il signifier de semblable à ce que nous comprenons aujourd’hui, à une époque où la possibilité de la liberté de penser n’était même pas soupçonnée, et où il n’y avait pas de forfait plus grand et plus rare que de discuter les dieux, les lois et les coutumes de la cité ? Un mot comme celui de patrie, que signifiait-il dans l’âme d’un Athénien ou d’un Spartiate, sinon le culte d’Athènes ou de Sparte, et nullement celui de la Grèce, composée de cités rivales et toujours en guerre. Le même mot de patrie, quel sens avait-il chez les anciens Gaulois divisés en tribus rivales, de races, de langues et de religions différentes, que César vainquit facilement parce qu’il eut toujours parmi elles des alliées. Rome seule donna à la Gaule une patrie en lui donnant l’unité politique et religieuse. Sans même remonter si loin, et en reculant de deux siècles à peine, croit-on que le même mot de patrie était conçu comme aujourd’hui par des princes français, tels que le grand Condé, s’alliant à l’étranger contre leur souverain ? Et le même mot encore n’avait-il pas un sens bien différent du sens moderne pour les émigrés, qui croyaient obéir aux lois de l’honneur en combattant la France, et qui à leur point de vue y obéissaient en effet, puisque la loi féodale liait le vassal au seigneur et non à la terre, et que là où était le souverain, là était la vraie patrie.

Nombreux sont les mots dont le sens a ainsi profon-