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d’œuvre qu’on n’a pas lus ; formules pour examens ; la morale et Dieu lui-même mis en face d’accolades, qui engendrent des sous-accolades. Et ce qui est pire encore, des maîtres préparent leurs élèves à la réponse qu’ils savent devoir plaire à l’examinateur[1].

§ 4. LES RÉSULTATS DE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES.

Mêmes méthodes d’enseignement pour les sciences. Des mots, toujours des mots, des manuels compliqués et subtils appris par cœur.

En chimie, au lieu d’exiger la connaissance réelle de la nomenclature et l’étude très précise, très pratique, des grandes lois et d’une douzaine des corps les plus importants, ce qui donnerait à l’élève le goût de la chimie et le désir de compléter ses connaissances, l’opinion nous oblige d’exiger que notre élève soit un chimiste encyclopédique. Le sélénium, le tellure, le brome, l’iode, le fluor, le bore, le silicium, etc., etc., défilent devant ses yeux : le résultat immédiat est le dégoût ; le résultat éloigné, les lois de la mémoire outrageusement violées l’assurent, c’est l’oubli.

En physique, au lieu de l’attention constamment et vigoureusement appelée sur les grandes lois générales, c’est un abus fâcheux de descriptions d’appareils compliqués, comme si nous voulions faire de nos élèves des ouvriers constructeurs : après la machine d’Atwood, celle de Morin, qui n’ajoute rien à la compréhension du principe. Après l’expérience de Torricelli, c’est le baromètre de Fortin, dont les élèves ne se serviront jamais, sauf s’ils font des études spéciales, puis celui de Gay-Lussac, puis celui de Bunsen, si bien que les élèves finissent par ne plus apercevoir l’édifice entouré de tant d’échafaudages, et très forts sur la description des appareils, ils perdent quelque peu de vue les lois elles-mêmes.

Ce mal est le même partout, en littératures ancienne et moderne, en langues vivantes, en sciences naturelles et même en philosophie.

Les élèves, isolés de la vie, de la réalité, par des murailles de mots, ne sont point habitués à regarder en eux-mêmes, parce qu’ils sont distraits par le monde extérieur. Ce monde extérieur lui-même ils le voient, mais ils ne savent point le regarder. Toute leur vigueur intellectuelle est concentrée sur des mots[2].

  1. Conférences sur le baccalauréat, par Lavisse, professeur à la Sorbonne.
  2. Jules Payot. Revue Universitaire, 15 avril 1899