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une certaine aristocratie bourgeoise. Si l’on pensait que le latin sert à autre chose, par exemple à maintenir certaine tradition nationale, cette tradition serait mal assurée. Car les résultats ne permettent pas de supposer qu’elle tienne à cela ; même, il y a à peine 10 % des élèves qui puissent se tirer d’un texte élémentaire de Cicéron. J’assiste de très près tous les ans au dépouillement des copies latines du baccalauréat ; il y a une version passable sur dix. Si la tradition nationale repose sur la connaissance que nous avons de la culture latine, elle est bien compromise. Toutes les phrases pathétiques sur l’ennoblissement des âmes, la culture morale, le goût artistique qui nous viendraient des Latins ne sont plus vraies dès que les connaissances latines élémentaires sont aussi mal assurées qu’elles le sont.

Après une étude qui prend jusqu’à dix heures par semaine et dure sept ans, les élèves ne sont pas capables de se tirer d’une version autrement qu’à coups de dictionnaires. C’est du temps gaspillé[1].

C’est à peu près, d’ailleurs, ce qu’avait dit M. Jules Lemaître, dans une conférence qui fit beaucoup de bruit, et dont je reproduis un extrait.

J’ai vu les cahiers et les « devoirs » de quelques adolescents, pris au hasard : c’est lamentable. Il est clair que leur latin ne leur servira pas même à écrire en français avec propreté, si ce don n’est infus en eux, ou à comprendre les latinismes de nos écrivains classiques ce qui pourtant serait encore un assez petit gain et hors de toute proportion avec ce qu’il aurait coûté.

Ainsi ils auront deux fois perdu leur temps, puisqu’ils l’auront passé à ne pas apprendre une langue, qui, l’eussent-ils apprise, leur serait à peu près inutile. Et ce temps aurait donc été mieux employé, je ne dis même pas à l’étude des langues vivantes, des sciences naturelles et de la géographie (c’est trop évident), mais au jeu, à la gymnastique, à la menuiserie à n’importe quoi.

Cette incapacité de l’Université à enseigner le latin ou d’ailleurs une langue quelconque, car bien entendu les élèves ignorent autant les langues modernes que les langues anciennes, a quelque chose de merveilleux et de bien propre à exciter l’étonnement. Étant donné

  1. Enquête, t. II, p. 63. Andler, maître de conférences à l’École Normale.