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apprennent à se conduire quand ils seront seuls dans la vie, il faut au moins leur accorder quelques lueurs de liberté. En France, au début des chemins de fer, on enfermait les voyageurs à clef dans leur compartiment afin qu’ils ne pussent s’échapper en route. Tout récemment encore, on les enfermait dans les salles d’attente jusqu’à l’arrivée des trains, pour qu’ils n’allassent pas se précipiter sous les roues des locomotives. Aujourd’hui on ne ferme plus à clef les compartiments, on laisse les voyageurs circuler sur les quais, et les Compagnies ont constaté avec surprise que les voyageurs ne s’échappent pas durant le voyage et ne se font pas écraser dans les gares par les locomotives. Ce n’est qu’en accordant un peu de liberté aux hommes ou aux enfants qu’on leur apprend à ne pas en abuser.

Nos universitaires sont fort éloignés encore de telles conceptions. La scène suivante rapportée par M. de Coubertin montre à quel point est faible leur psychologie en matière d’éducation.

Un jeudi, dans un lycée de Paris, se passa cette scène poignante dont j’ai gardé un souvenir amer. Quinze élèves moyens et grands, autorisés par leurs parents, devaient aller au Bois de Boulogne pour disputer une des épreuves du championnat interscolaire de foot-ball contre une équipe d’un autre lycée. Au dernier moment, le maître d’études désigné pour accompagner se trouva empêché. Qu’allait-on faire ? Leur chef d’équipe, leur « capitaine », un bon élève, aimé et respecté de ses camarades, se porta garant que tout se passerait comme si le maître d’études était là. « Ils m’ont promis, dit-il, j’engage ma parole d’honneur. » Et celui à qui il parlait répondit : Mon ami, est-ce que je puis accepter la parole d’honneur d’un élève ? » Toute notre pédagogie est dans ce mot : la parole d’honneur ne vaut point. L’élève le sentit et baissa la tête… De telles scènes ne sont-elles point faites pour fausser toute une vie[1]?

  1. De Coubertin, Revue Bleue, 1898, p. 808.