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Et c’est aussi pour cela que les mères allemandes retiennent moins leurs enfants que les mères françaises, les poussent beaucoup moins à faire du latin ou du grec et à rechercher les carrières et les positions tranquilles[1].

Je voudrais conserver le latin : les familles y tiennent beaucoup plus qu’on ne croit, tellement qu’on appelle encore, j’hésite à le dire, « l’enseignement moderne l’enseignement des épiciers ». L’opinion courante inflige à l’enseignement moderne un caractère de déchéance, d’amoindrissement qu’il vaudrait mieux éviter pour beaucoup d’enfants qui ne sont pas faits pour les études littéraires véritables et qui cependant mériteraient de ne pas être mis dans la catégorie des épiciers. Les enfants eux-mêmes tiennent au latin pour une raison qui est un enfantillage, mais d’une influence réelle lorsqu’ils commencent leurs études : c’est que les filles n’en font pas. Pour un garçon de dix ans, apprendre le latin, c’est comme s’il mettait sa première culotte. Ils sont fiers quand ils rentrent à la maison : leurs sœurs ne savent pas le latin, ne le sauront jamais ; elles apprennent la physique, la chimie, la littérature ; elles en sauront autant que leurs frères et leurs maris : mais elles n’ont pas appris le latin et les garçons ont le sentiment de cette supériorité.

Si donc on veut avoir un enseignement autre que l’enseignement classique complet, qui réunisse la grande majorité des enfants de France, il y faut garder le latin[2].

Il faut tenir compte des préjugés, si puissants et si tenaces en France, et de la vanité des familles. Trop souvent, on place des enfants dans les lycées ou dans les collèges, non par suite d’un choix judicieux et réfléchi, mais par vanité et par amour-propre ; on tient, avant tout à ce que les enfants fassent leurs études classiques[3].

À Marseille, en 1861 ou 1863, il y avait déjà — c’était alors une nouveauté due à M. Fortoul ou à M. Rouland — un enseignement commercial qui durait normalement cinq ans. Il n’a jamais fait fortune, quoiqu’il eût d’excellents professeurs. Même dans une ville comme Marseille, le moindre bourgeois, le moindre négociant voulait que son fils, puisqu’il y avait des bacheliers latins, fut bachelier en latin comme celui du plus gros négociant. Si nous déracinions la passion égalitaire du corps des trente-huit millions de Français, nous arriverions peut-être à quelque chose sur ce point[4].

  1. Enquête, t. II, p. 439. Blondel, ancien professeur à la Faculté de Droit de Lyon.
  2. Enquête, t. II, p. 307. Girodon, fondateur de l’École Fénelon.
  3. Enquête, t. II, p. 513. Jacquemart, inspecteur de l’enseignement technique.
  4. Enquête, t. I, p. 186. Brunetière, maître de conférences à l’École Normale supérieure.