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AU DELA DU BIEN ET DU MAL

Les deux extraits qui suivent, tirés de Jenseits von Gut und Bose (Au-delà du bien et du mal, Introduction à une philosophie de l’avenir) et traduits pour la première fois en français, donnent une idée assez juste de deux thèses fondamentales de Nietzsche, concernant l’une la Morale, l’autre la Religion.

D. H. et F. G.


I

LES DEUX MORALES


En me promenant à travers les nombreuses morales, délicates ou grossières, qui ont régné ou règnent encore en ce monde, j’ai rencontré certains traits qui apparaissent constamment liés les uns aux autres ; peu à peu deux types essentiels se sont révélés à moi, d’où a surgi une distinction fondamentale. Il y a la Morale des Maîtres et la Morale des Esclaves. Un abîme sépare les deux conceptions que se sont faites de la valeur morale : d’une part, une race dominatrice qui avait superbement conscience de sa supériorité ; d’autre part, une race assujettie, une race d’esclaves et des valets de tout rang. Dans le premier cas, quand ce sont les Maîtres qui ont défini la notion « Bien », ce sont les facultés élevées et fières de l’âme qui sont conçues comme les critères du bien et les fondements de toute hiérarchie. L’homme supérieur éloigne de lui les êtres en qui il constate le contraire de ces facultés élevées et fières : il les méprise. On remarque que dans cette première espèce de morale l’opposition des mots bon et mauvais a le même sens que celle des mots supérieur et méprisable : — l’opposition des mots bien et mal a une autre