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nais le paient fort cher. Il peut donc travailler en paix. Il aurait toutes les raisons du monde d’être parfaitement heureux si les mfîdélités d une épouse trop belle et volage ne lui causaient un profond chagrin. Viganô a renoncé à danser lui-même, il se consacre à la chorégraphie et travaille méthodiquement, sans hâte, à la réalisation de ses idées. Les criailleries des imprésarios le laissent de glace. Il fait répéter un ballet des mois entiers. Tant pis si la première représentation annoncée pour le printemps ne peut se donner qu’à l’automne. Souvent, au milieu d une répétition, une idée lui vient. Il arrête tout et les artistes attendent des heures entières que le maestro leur indique le jeu de scène à exécuter. Stendhal nous le montre « environné de quatre-vingts danseurs sur la scène de la Scala, ayant à ses pieds un orchestre de dix musiciens », composant et faisant « impitoyablement » recommencer, toute une matinée, dix mesures de son ballet qui lui semblent laisser à désirer (1). Parfois les directeurs exaspérés menacent de le faire mettre en prison pour non exécution de ses contrats, mais il lento e freddo Vigano ne s’alarme pas pour si peu. Il suit son idée. Parfois il se trompe, mais, dit Stendhal, « l’exécrable de ce grand homme est meilleur que l’excellent des autres (2).» Avant Viganô on ignorait l’art des groupements variés. Aussi bien en France qu’en Italie, les coryphées exécutaient des pantomimes expressives, mais les danseurs et les figurants se bornaient à accomplir tous en même temps les mêmes gestes. Tout au plus arrivait-il que le corps de ballet fût divisé en plusieurs troupes exécutant chacune un mouvement différent. Avec Viganô, chaque danseur conserve son individualité dans l’ensemble. On s’imagine quel travail devait être pour le chorégraphe la mise au point de scènes comme la réception d’Othello par le Sénat de Venise en laquelle chaque personnage devait agir pour son compte tout en formant avec les autres des groupes expressifs et harmonieux. La difficulté augmentait encore du fait qu’il ne s’agissait pas de composer


(1) Rome, Naples et Florence, I, 395. Une curieuse lettre de Viganô à la Directrice du théâtre Royal à Vienne du 30 décembre 18%, nous montre quel soin il apportait aux répétitions. Il s oppose absolument à ce que la troupe répète en même temps un ballet de Taglioni, elle doit s’occuper exclusivement de ma venue. — Cette lettre fait partie de notre collection

(2) Lettre à de Mareste du 22 décembre 1820.