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On s’aperçut alors que l’esthétique stéréotypée du maillot et des chaussons roses, de la jupe ballonnée de tulle blanc, de la taille serrée, de la coiffure stricte et des bras nus n’était pas une absurdité. Dans les couvents de danses de Russie la virtuosité de Vestris s’était conservée intacte et les interprétations de Chopin qui nous étaient offertes s’inspiraient de l’acrobatique manuel de haute école du xviiie siècle. Or cette technique supérieure exige un affranchissement systématique de toutes les servitudes de notre humble condition terrestre pour tendre vers un idéal de légèreté, de rapidité, de prestesse et d’équilibre supra-humain.

Le costume classique facilite cette évasion. Il transforme la danseuse en créature immatérielle, aérienne et impondérable. Il neutralise sa féminité pour en faire une fée, un elfe, un lutin ou un papillon. Il crée la femme-insecte, aux membres grêles et élastiques, aux ailes de gaze, à la taille étranglée et la femme-fleur aux pétales mousseux, aux bras fins et souples comme des lianes. Par l’artifice de la pointe elle semble se libérer des lois de la pesanteur en nous donnant l’impression de planer entre ciel et terre et de ne plus effleurer le sol que de l’extrémité de son orteil dédaigneux. Grâce à la pointe le corps entier de la danseuse s’allonge, s’étire, s’affine miraculeusement et se termine d’une façon imprécise au lieu de s’étayer sur une double plate-forme en contact étroit avec le plancher des ruminants. L’immense corolle de mousseline qui fleurit autour de ses hanches dissimule l’épanouissement indiscret du bassin qui affirme, avec un orgueil inopportun chez une danseuse, la noblesse du destin maternel. Ce moutonnement de blancheurs frémissantes amincit la taille qui prend la fragilité d’un corselet de guêpe, et rend plus frêles les jambes et les bras qui ne doivent pas être de chair mais évoquer le svelte frémissement de l’antenne ou du pistil. Il y a là une transsubstantiation volontaire qu’il faut accepter résolument et ne pas craindre d’accentuer, au besoin, pour spiritualiser encore cet état supérieur, ce mysticisme de la chorégraphie pure.

Mais il s’agit là d’une vocation exceptionnelle. La religion de Terpsichore a ses ordres mineurs. Il ne faut pas obliger de petites sœurs converses