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ÉRYXIMAQUE

Ce que tu voudras, cher Socrate.

SOCRATE

Dis-moi donc, sage médecin, qui as approfondi dans tes périples et dans tes études, la science de toutes choses vivantes ; grand connaisseur que tu es des formes et des caprices naturels, toi qui t’es distingué dans le classement des bêtes et des plantes remarquables (les nocives et les bénignes ; les anodines, les efficaces ; les surprenantes, les affreuses, les ridicules ; les douteuses ; celles enfin qui n’existent pas), — dis-moi donc, n’as-tu point ouï parler de ces étranges animaux qui vivent et prospèrent dans la flamme elle-même ?

ÉRYXIMAQUE

Certes !… Leur figure et leurs mœurs, cher Socrate, ont été bien étudiées ; encore que leur existence même ait récemment fait l’objet de quelques contestations. Je les ai décrits bien souvent à mes disciples ; toutefois je n’ai jamais eu l’occasion d’en observer de mes yeux.

SOCRATE

Eh bien, ne te semble-t-il pas, Éryximaque, et à toi, mon cher Phèdre, que cette créature qui vibre là-bas, et qui s’agite adorablement dans nos regards, cette ardente Athikté qui se divise et se rassemble, qui s’élève et qui s’abaisse, qui s’ouvre et se referme si promptement, et qui paraît appartenir à d’autres constellations que les nôtres, — a l’air de vivre, tout à fait à l’aise, dans un élément comparable au feu, — dans une essence très subtile de musique et de mouvement, où elle respire une énergie inépuisable, cependant qu’elle participe de tout son être, à la pure et immédiate violence de l’extrême félicité ? — Que si nous comparons notre condition pesante et sérieuse, à cet état d’étincelante salamandre, ne vous semble-t-il pas que nos actes ordinaires, engendrés successivement par nos besoins, et que nos gestes et nos mouvements accidentels, soient comme des matériaux grossiers, comme une impure matière de durée, — tandis que cette exaltation et cette vibration de la vie, tandis