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ÉRYXIMAQUE

Cher Socrate, elle nous apprend ce que nous faisons, montrant clairement à nos âmes, ce que nos corps obscurément accomplissent. À la lumière de ses jambes, nos mouvements immédiats nous apparaissent des miracles. Ils nous étonnent enfin autant qu’il le faut.

PHÈDRE

En quoi cette danseuse aurait, selon toi, quelque chose de socratique, nous enseignant, quant à la marche, à nous connaître un peu mieux nous-mêmes ?

ÉRYXIMAQUE

Précisément. Nos pas nous sont si faciles et si familiers qu’ils n’ont jamais l’honneur d’être considérés en eux-mêmes, et en tant que des actes étranges (à moins qu’infimes ou perclus, la privation nous conduise à les admirer)… Ils mènent donc comme ils le savent, nous qui les ignorons naïvement ; et suivant le terrain, le but, l’humeur, l’état de l’homme, ou même l’éclairement de la route, ils sont ce qu’ils sont : nous les perdons sans y penser.

Mais considère cette parfaite procession de l’Athikté, sur le sol sans défaut, libre, net, et à peine élastique. Elle place avec symétrie sur ce miroir de ses forces, ses appuis alternés ; le talon versant le corps vers la pointe, l’autre pied passant et recevant ce corps, et le reversant à l’avance ; et ainsi, et ainsi ; cependant que la cime adorable de sa tête trace dans l’éternel présent, le front d’une vague ondulée.

Comme le sol est en quelque sorte absolu, étant dégagé soigneusement de toutes causes d’arythmie et d’incertitude, cette marche monumentale qui n’a qu’elle-même pour but, et dont toutes les impuretés variables ont disparu, devient un modèle universel.

Regarde quelle beauté, quelle pleine sécurité de l’âme résulte de cette longueur de ses nobles enjambées. Cette amplitude de ses pas est accordée avec leur nombre, lequel émane directement de la musique. Mais nombre et longueur sont d’autre part secrètement en harmonie avec la stature…