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L’idéal de la chorégraphie classique est une danse psychologiquement inconditionnée, se développant par ses propres forces, de soi-même, régie par ses propres lois, privée de toute signification descriptive et expressive, une danse qui se déroule libre, c’est-à-dire autonome. Ce n’est pas une gymnastique, ce n’est pas un jeu d’adresse et de force (bien que ce danger guette tout classicisme), mais la réalisation dans le temps et dans l’espace de toutes les puissances, de toutes les possibilités du corps humain.

C’est cette même élimination du facteur psychologique que poursuivent le peintre, le musicien classique, bien qu’elle ne puisse être jamais définitivement réalisée parce qu’une danse, une sonate, un tableau sont toujours le produit d’un certain état psychologique qu’ils reflètent plus ou moins directement dans leur structure, leur développement, leur caractère général : la plante, de même, dépend des propriétés de l’humus dont elle se nourrit. Mais cette dépendance, pour la danse, peut être réduite indéfiniment sans jamais pourtant tomber à zéro.

Dans sa lutte contre tout réalisme psychologique, contre la vérité expressive ou descriptive, le ballet dit classique, le ballet en tutu ne recula devant aucune absurdité, guidé par un très sûr instinct : on le lui reproche assez souvent maintenant sans comprendre que l’absurdité, le mensonge, la fausseté évidente de ses conceptions au point de vue psychologique n’étaient pour lui qu’un moyen commode de découvrir, de dégager la pure beauté du corps en mouvement, la signification du geste, de l’attitude, non en tant que signe, non en tant que moyen d’expression, mais en eux-mêmes. C’est la raison d’être de la petite jupe de gaze de nos danseuses ; c’est l’explication du rôle prépondérant des jambes dans le ballet classique au détriment des bras dont la gesticulation acquiert rapidement et tout naturellement une signification expressive ou descriptive toujours évitée par les classiques.

Évidemment, je ne souligne que le caractère dominant, je n’insiste que sur la tendance principale du ballet classique au XIXe siècle. Il y eut certainement des périodes (Viganò, le ballet romantique) où les tendances descriptives et expressives paraissaient vouloir reprendre le dessus, où le réalisme psychologique essayait de rétablir ses droits ; mais tous ces