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déterminé de l’espace et ne survivrait qu’en tant que modèle, qu’idéal copié ou combattu.

En ce qui concerne plus spécialement la danse, dont on n’a jamais autant discuté qu’en ces dernières années, il apparaît clairement que les défenseurs et admirateurs de la chorégraphie classique, aussi bien que ses adversaires les plus acharnés, se livrent bataille autour d’un type de danse bien déterminé, concret, celui qui fut fixé par les maîtres de ballet des XVIIIe et XIXe siècles. Etre partisan du ballet classique, c’est nécessairement admirer, semble-t-il, les pirouettes, les battements, les ronds de jambes, les tutus, devenus bien à tort, d’ailleurs, le symbole même de la chorégraphie classique ; les repousser, équivaut à renoncer au ballet classique et à adopter les réformes d’un Fokine, d’un Dalcroze.

Ce point de vue est évidemment faux. Le ballet en tutu, la danse théâtrale au XIXe siècle en France, en Italie, en Russie, ne représente pas la danse classique, mais une des formes de celle-ci, un des aspects du classicisme chorégraphique, de même que Raphaël ne fixe pas le beau pictural classique, mais une des formes de ce type de beauté, de même que l’art de Mozart, de Beethoven n’est qu’une des manifestations de l’esprit classique en musique ; une des plus complètes, peut-être, mais non la seule, l’unique. Ce terme classique relève donc en premier lieu non de l’histoire, mais de la théorie de l’art. C’est à la théorie, à l’esthétique de fixer tout d’abord son contenu, d’établir sa signification générale ; c’est à l’histoire ensuite à nous renseigner comment se réalise ici ou là cette conception de l’art que nous appelons classique, comment l’idéal classique qui fut toujours présent à l’esprit des artistes, repoussé ou admiré, se cristallise, prend forme, revêt les aspects les plus divers. Le ballet dit classique, le ballet en tutu fut probablement jusqu’ici la réalisation la plus pure, la plus complète de l’idéal chorégraphique classique, mais il ne l’épuise pas, ne l’incarne pas définitivement, car il porte, très apparente, la marque de l’époque, des artistes qui le créèrent. D’autres viendront qui reprendront cette conception, aujourd’hui battue en brèche de toutes parts, et découvriront une solution non moins élégante peut-être au problème de la danse fin en soi.