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vénitienne qui l’évoque. De Noverre il n’est question nulle part ; encore moins de Viganò (mais cela n’est guère étonnant). Quant à Gluck, sur qui Wagner aime tant à disserter, on ne se douterait guère, à lire ce qu’il en dit, de la place que tenait le ballet dans le système du réformateur.

Il n’est pas d’occasion que Wagner ne saisisse pour décocher quelque flèche au ballet classique, et tout particulièrement au ballet parisien. Sa verve d’écrivain qui est vive (et d’une tout autre veine que son plat comique d’homme de théâtre) cingle les statuts « majestueusement entêtés » de l’Opéra qui exigeaient, dans toute œuvre représentée, une danse et qui en imposèrent une à la partition du Freyschütz, lorsque cet opéra fut mis en scène à Paris. « C’était un désarroi. Autant qu’on en pouvait juger par la partition, il n’y avait nulle part « d’air de danse ». Quelle détresse ! Personne ne savait à quel endroit de cette désespérante musique on pourrait faire danser l’homme en satin jaune et les deux dames aux longues jambes et en jupes courtes. Après le Laendler qui précède l’air de Max ? Impossible. Ou peut-être après le chœur des chasseurs ? Ou encore après l’air : Wie nahte mir der Schlummer ? — C’était à désespérer. Et pourtant il fallait une danse, un ballet, même si on se décidait, pour le reste, à donner la pièce sous sa forme intégrale. Mais tous les scrupules s’évanouirent quand on se souvint que ce même Weber avait écrit une Invitation à la Valse ; qu’aurait-on à dire, si l’on dansait sur cette invitation du maître[1] ? »

Comme le Freyschütz, Tannhäuser eut à subir l’assaut de ces exigences ; et c’est ce que Wagner ne pardonna jamais à l’Opéra de Paris. Dès sa première entrevue avec le Directeur, il apprend que le succès dépendra de l’introduction d’un ballet dans la pièce, et, très précisément, au deuxième acte. En vain répond-il que suspendre l’action au second acte en faveur d’un ballet serait la pire des maladresses, alors qu’au contraire la scène du Venusberg, au premier acte, en pouvait admettre un, puisqu’aussi bien lui-même avait cru devoir y laisser une place à la danse. Il rapporte[2] être allé jusqu’à tracer le plan d’un divertissement qui devait donner à la scène toute son ampleur. Peine perdue : « Il fallait que le ballet fût

  1. Le Freyschützà Paris. 1841 (p. 223).
  2. Sur la représentation de Tannhauser à Paris (p. 141).