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même pas. Les anciens danseurs y excellaient, apprenaient aux gens de la cour les grâces et les attitudes du corps : ces choses-là autrefois avaient une importance extrême, et, dans les Souvenirs de la marquise de Créqui, rédigés par Courchamps, on peut lire le récit d’une leçon de maintien donnée par Vestris à un prince. On ne saurait pontifier d’une manière plus plaisante. Aujourd’hui cette étiquette a perdu en partie son prestige.

Grandeur et décadence ! Injustice du sort ! Caprice de la mode !

Lorsque l’on interroge les initiés sur l’esprit des ballerines, beaucoup répondent comme le sous-préfet du Monde où l’on s’ennuie au sénateur qui veut connaître l’esprit de son arrondissement : « Il n’en a pas. » Certes, elles ne font pas concurrence à Rivarol, Chamfort ou Henri Lavedan, leur horizon intellectuel ne dépasse guère celui de l’Opéra, leur instruction est médiocre, et elles n’ont pas, en général, le temps de décrocher le brevet de capacité. Cependant il y a progrès sensible : l’instruction obligatoire a produit son effet même dans la région cabriolante. Il faut convenir aussi que nos ballerines ont l’esprit de leur métier, l’esprit de leur ambition, le bagout de la Parisienne des faubourgs. Et puis quelques-unes montrent de solides qualités intellectuelles. On composerait une anthologie amusante avec les mots qui s’échangent au foyer de la danse, depuis cent cinquante ans, entre les vestales de la chorégraphie et les habitués : mots drôles, mots profonds, mots de situation, mots représentatifs d’états d’âmes.

La mère d’une coryphée entre en sanglotant dans la loge de sa fille au moment où celle-ci achève de se maquiller : « Mon enfant, ton père est mort ! » L’enfant candide, étouffant un sanglot : « Oh ! maman, pourquoi me dire cela à présent ? Est-ce que je peux pleurer ? Ça dérangerait mon mastic. » N’oublions pas, en effet, que le mastic dure près d’une heure : couche épaisse de blanc liquide sur la figure, les bras, le cou, les épaules, avec un soupçon de cold-cream et de poudre de riz, joues allumées de vermillon, lèvres avivées de carmin, dents lustrées à l’émail,