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TÊTES ET FIGURES

pas, en faisant notre pays plus confortable, mieux équipé, plus intéressant et, par conséquent, plus digne d’envie.

Charles Bertrand fit comme beaucoup d’autres : il émigra. Ouvrier-mécanicien de son métier, garçon fort intelligent et fort habile, comme il n’y avait à Québec aucune école d’arts et métiers, il avait dû se former lui-même au petit bonheur dans plusieurs boutiques.

Haut de stature, bien découplé, plutôt brun que blond, il portait sa barbe toute entière, ce qui donnait à sa physionomie le caractère de l’âge mur, alors qu’il dépassait à peine vingt-quatre ans. Son front large, aux angles adoucis, couronné d’une chevelure épaisse, sa figure éclairée de deux grands yeux noirs, tout, dans sa personne, inspirait de prime abord une confiance absolue. Timide tout de même, s’il n’avait pas la promptitude et l’énergie de décision, il possédait cette ténacité de résolution qui soutient imperturbablement la lutte et finalement triomphe des obstacles.

Charles, qui avait perdu tous les membres de sa famille, ne laissait derrière lui aucun sujet particulier d’affection. Un jour, donc, il se décida à filer sur New-York ; c’était sa première aventure hors du pays. Lorsque d’abord il foula les pavés de Broadway et d’autres rues de la métropole américaine, il demeura un instant ébloui du faste des édifices et des étalages,