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LA PLUS BELLE CHOSE DU MONDE

ment qui ne s’avouait pas, ou refusait délibérément de prendre conscience de lui-même. Tôt ou tard, il l’épouserait. En attendant, il aimait la simplicité égale et enfantine de Lucette ; elle semblait plutôt intimidée lorsqu’elle sortait d’un concert où on l’avait chaudement applaudie ; elle n’en concevait point d’orgueil. Cette absence totale de prétention plaisait au jeune homme ; elle l’empêchait surtout de croire que Lucette mettait sa carrière de pianiste au-dessus de tout ; surtout au-dessus de l’amour.

À leurs soirées dans le monde, il préférait les tranquilles veillées sous le cercle lumineux de la lampe, en ce salon arrangé par elle, où elle jouait pour lui du Chopin et d’étranges pièces modernes, imitatives, bigarres, mais cristallines. Il aimait encore qu’elle fût aussi intensément intellectuelle, ardente pour les choses de l’esprit ; et tenace dans ses goûts et dans ses idées. Il l’appelait femme savante, la taquinait. Elle le regardait alors, hésitante, prompte à croire qu’il ne l’aimait pas ainsi ; puis, rassurée, elle souriait tout à coup de son sourire particulier, doux et complexe, tendre, moqueur et craintif à la fois. Des fossettes se creusaient dans ses joues. Sa peau lisse était blanche. Il réprimait le vif désir qu’il avait de l’embrasser.