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COULEUR DU TEMPS

et que je serai bonne chauffeuse, je vous inviterai. S’il fait chaud, nous serons bien. Le vent fouettera nos joues. Mes cheveux seront fous. Moi aussi j’irai vite, autant que le permettent les poteaux indicateurs, et très vite lorsqu’il n’y aura plus aucun sergent de ville. Je ne parlerai pas. Je rirai un peu. Je n’aurai point le temps de détailler les paysages. C’est l’air qui fera tout mon bonheur.

L’air !… c’est-à-dire l’élan, la course, la fuite des champs, la fuite des clôtures, les nuances des lacs, les vagues aperçues incomplètement, comme si on les voyait dans l’ivresse d’un vol à tire-d’ailes, les parallèles des fils télégraphiques qui s’allongent au dessus de nous, les arbres qui se succèdent, les arbres qui sous le vent se penchent, ont l’air de nous dire bonjour, les maisons, les maisons modestes ou luxueuses, les hangars, les fermes, les poules qui piaillent, se sauvent, les enfants qui, bouche bée, nous regardent filer, ceux qui courent effrayés par la voix apeurante de la corne, les petits ponts, les tournants de route qui ménagent des surprises, les grands chemins droits, ceux qui sont courbes, ceux qui suivent des rivières étroites et sinueuses, ah ! toute, toute la campagne colorée, fraîche, parfumée, toute la campagne vue de même qu’en rêve, paysage diffé-