Page:LeNormand - Couleur du temps, 1919.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En vacances


Me revoilà sous le cercle lumineux de ma lampe, à ma table de travail, et demain, je reprendrai la vie active de la ville, vie sans cesse agitée, mouvementée, trépidante. Depuis six jours, j’étais à Sorel, où aucun devoir, aucun souci ne m’avait suivie.

Je n’ouvris pas un livre pendant ces vacances, et je ne pris ma plume que deux fois, pour assurer à mes « êtres chers » que j’étais bien, très bien, merci ! Je restai des heures à la fenêtre, heureuse d’être une jeune fille et d’avoir envie de rire à propos de tout ; parce que dehors, dans la rue animée et centrale de ce coin de pays, le même gros homme repassait pour la sixième fois, balançant les bras, suivi d’un certain caniche qu’il promène ainsi chaque jour depuis des années, refaisant aux mêmes minutes les mêmes gestes, s’arrêtant aux mêmes portes ; parce que ma petite cousine Jacqueline, dans la sagesse médiocre et le langage inhabile de ses trois ans, venait me répéter d’une voix claire et zézayante : « Fine Queline, hein ? — cheval fine, aussi ! » et qu’elle embrassait passionnément des images de chevaux dans des livres de contes.