Page:LeNormand - Couleur du temps, 1919.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
COULEUR DU TEMPS

se tait ; on dirait qu’il s’en va ou que par enchantement, il s’endort. Vous reprenez le droit chemin. Vous croyez pouvoir cesser de vous tenir la tête. Vous respirez mieux. Il revient plus impérieux, lève tout droit votre coiffure ; vos mains se précipitent pour la retenir. Le vent tourne, se rit de vous de plus en plus, et pour vous contredire, pousse maintenant votre chapeau comme s’il voulait vous l’enfoncer jusqu’aux épaules !

Ô grand vent qui souffle ainsi qu’un mauvais esprit ! Grand vent moqueur et étrivant.

Ce soir, il est plus furieux encore. On se demande s’il n’enlèvera pas les toits. Il roule autour des maisons. Sa voix retentit : c’est une plainte triste, ou une grande vague de colère, ou un chant de sirène en détresse. Puis, soudainement il part en ronde trépidante et ma porte grince comme si elle allait s’ouvrir…

Je suis chez nous. Je suis tranquille. J’essaie de regarder dehors pour voir se balancer les arbres. Mais, ma vitre me renvoie l’image de ma lampe et de ma table de travail ; j’aperçois ma main sur le papier, et mes yeux — dans le miroir improvisé par la nuit noire — rencontrent mes propres yeux.

Et je ris du vent que je ne sens plus.