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COULEUR DU TEMPS

comme une robe neuve ordinaire. Alors, l’amitié entre nous fut scellée. Depuis, elle est venue à de nombreuses fêtes, à maintes représentations ; elle a dîné en cérémonie ou dans l’intimité, elle a fait des visites, elle a couru tout le tour de mon petit monde, et souvent, elle a veillé seule avec moi dans mon boudoir. Je la gardais le plus longtemps possible. Elle se meurt. Tristesse ! Rien ne pourra la ressusciter. J’en aurais une neuve exactement pareille ; et ce ne serait plus elle. Hélas ! sur cette terre les petites et les grandes choses ont des destinées semblables : rien ne se recommence.

Une robe qu’on aime et qui s’use, c’est comme une année qui s’achève, un peu de jeunesse qui disparaît, une image de soi qui s’éclipse, qu’on ne reverra plus qu’en souvenir. La robe qui se meurt, que d’heures elle a vécu avec nous, que d’heures elle rappelle. Ma robe bonne humeur s’en va. Cela me cause une impression pénible, qui ressemble aux regrets d’une petite fille à l’enterrement de sa poupée. Allons ! Soyons mieux détachée de tous les biens de ce monde ! N’avons-nous pas déjà entendu la voix de l’Imitation : « C’est comme en passant qu’il faut regarder toutes les choses de la terre. Elles passent toutes, et vous comme elles et avec elles. »

Tristesse, comme ma robe, je passerai. Mais, joie infinie, moi, je saurai ressusciter !