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COULEUR DU TEMPS

tête ébouriffée et demande effrontément : « T’en viens-tu ? On t’attend. Dépêche-toi ! »

Me dépêcher ! C’était facile à dire. À sa troisième apparition, Mère, indignée en apparence l’appela, et nous fûmes deux à écouter le reste des remontrances.

Est-ce assez simple, assez puéril ces souvenirs ? Nous en renotons une infinité, des tristes et des comiques, mais qui tous nous font rire. Pourtant ils n’amuseraient personne d’autre que nous. Pour nous seules ils sont attendrissants ces menus faits de notre vie d’élèves. En les rappelant, nous nous rapprochons, Jeanne, Berthe et moi ; et c’est comme si nous touchions tout à coup les racines de notre amitié. Car cette amitié, c’est le passé qui la vivifie. C’est le passé qui l’a faite et c’est lui qui la gardera. Il la protégera contre l’avenir.

Berthe, Jeanne et moi, nous serons un jour des femmes que des devoirs, des intérêts et des événements différents sépareront. Chaque pas insensiblement nous éloigne les unes des autres. Ce sont des sentiments nouveaux qui se lèvent en nous ; ce sera demain des obligations nouvelles, et comme la vie passe sans cesse plus vite, nous n’aurons peut-être plus bientôt d’heures pour nous rencontrer.

Lorsque, dans ce temps, le hasard nous réunira, fût-ce après des années, malgré les relations