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Feuille sèche


Entre les pages d’un cahier noirci de mon ancienne écriture, je trouve ce soir une feuille d’érable, rouge et sèche. Une de ses dentelures est repliée, et comme je veux la redresser, elle se brise. Sur la teinte brunie du tissu raidi une date est écrite : dix-neuf septembre !… De quelle année ?… et dans quelle rue ai-je ramassé cette feuille ? Pourquoi l’ai-je datée ? Simple plaisir de ma plume, grande barbouilleuse autrefois comme aujourd’hui ?… Rien ne me reste dans la mémoire. J’ai beau chercher — rien. Je ne me souviens d’aucun fait, d’aucune promenade.

Pourtant, je me rappelle une fois que nous étions allées dans la montagne à la seule fin de faire des bouquets de feuilles différentes. Nous étions quatre petites filles qui commençaient à allonger leurs robes. Nous n’étions pas très gaies malgré ça. Je ne sais pas bien pour quelle vague raison, effet d’automne, sans doute. Je sais seulement que nous débitions des bêtises sur la vie. Jeanne en avait peur. Jeanne la regardait en se disant : à moi, elle ne donnera rien, elle ne peut rien donner, que du plaisir avec les fleurs, avec les nuages. Et savez-vous pourquoi Jeanne