Page:LeNormand - Couleur du temps, 1919.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Grand’mère Audet »


C’était l’été. Il faisait beau. Il faisait soleil. La mer bleue s’étendait au fond du paysage dans lequel s’en venait « Grand’mère Audet ».

En robe d’indienne foncée, un tablier à carreaux sur sa longue jupe à plis, petite vieille femme menue, elle approchait, portant à chaque bout de bras une chaudière vide. Un grand chapeau de paille noire préservait sa tête des rayons du jour, sa tête fine poussée en avant par son dos voûté.

Pour me saluer, elle eut un sourire maternel et gai ; puis soudain, avec une étincelle moqueuse dans les yeux, elle fit balancer ses chaudières et chantonna :

« Quand la boiteuse s’en va-t-au ruisseau,
A y va pas sans ses deux siaux ! »

Et ayant esquissé une révérence désuète, pendant que je riais, elle passa…

Mais longtemps après qu’elle fut passée, j’y pensais toujours. À soixante-dix-huit ans, d’une humeur douce et égale, d’une finesse rare, grand’mère Audet me charmait. À la voir, à la