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COULEUR DU TEMPS

pensez-vous, m’éloigne des traîneaux ? Pas le moins du monde. Notre nègre donc était, ma foi, fort comme un nègre. En reconnaissance du petit service que nous lui rendions, — à titre gracieux et sans aucune idée intéressée, — son étude finie, il s’attelait à nos traîneaux et nous traînait sur le temps des pommes. Un vrai train éclair. D’abord, nous avions trois chars, chaque corde de traîneau se rattachant à une autre, jusqu’à Lee — tiens, son nom me revient — qui était je vous jure, bien assez noir pour être l’engin !

Mon Dieu, qu’on s’amusait ! Ça décollait, comme on dit dans ma rue, et quand on tournait, on faisait immanquablement la culbute. C’était au coin, devant l’épicerie, qu’on revirait. Il y avait beaucoup d’allées et venues. Des petites Anglaises — j’habitais un quartier bilingue — sortaient du magasin, un pain sous le bras, et demandaient : « Give me a ride ? » Alors, nous leur faisions des niches, nous poussions des cris de joie, et nous ordonnions à Lee de courir plus fort.

Il nous écoutait. Ce n’est pas les petites Anglaises qui auraient pu lui montrer sa leçon de français ! Il trottait doublement. Les traîneaux zigzaguaient, s’accrochaient aux perrons, repartaient en ligne droite et derrière Lee, qui