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COULEUR DU TEMPS

l’attends moi-même aujourd’hui. Elle regardait devant elle en se disant que la route était longue, en se disant probablement aussi que la route était belle, et elle ne songeait pas au terme, pas plus que j’y songe moi-même aux jours ordinaires.

Pourtant voilà qu’elle a fini de la parcourir, cette route, et qu’elle vient de s’éteindre.

Et moi qu’elle avait tenue sur les fonts baptismaux, moi qui ne l’avais connue que déjà vieille femme, je ne peux plus détacher mes yeux de cette image d’elle qu’avant ce jour je n’avais jamais vue, et qui est une demi-révélation. Il arrive en effet bien rarement que nous songions, devant les personnes âgées même les plus chèrement aimées, au visage qu’elles eurent quand c’était leur tour de cueillir ces fleurs du printemps dont l’éclat joyeux passe si vite. Si elles ont conservé la finesse des traits et de l’expression, nous nous disons bien qu’elles furent jolies ; mais ce n’est pas pour nous une réalité ; c’est comme si leur existence antérieure n’avait pas à une époque été le présent, comme si elles n’avaient point eu l’âge que nous avons, passé par les sentiments par lesquels nous passons. Elles disent devant nous : « Dans notre temps, etc. »… ou « lorsque j’étais enfant », et cela nous produit l’impression d’un conte ; la vérité ne nous en