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une sorte de moulinet à quatre faces qui protège tout son corps. Tous ces mouvements étranges sont accompagnés de roulements d’yeux féroces et de la musique des castagnettes dont j’ai parlé plus haut. Pour prouver la supériorité de cette garde, il me suffira de dire que j’ai vu plus d’une fois le chien d’arrêt le plus impétueux se calmer spontanément à l’aspect des préparatifs de défense du Grand-Duc, et opiner pour les mesures de clémence, contre son habitude.

« Le Grand-Duc n’ayant, pour ainsi dire, d’autre ennemi que l’homme, sa race se serait accrue d’une façon désastreuse, n’eussent été les traces de carnage qu’il laisse autour de lui. Les débris de cadavres dont il a soin de tapisser les abords de son aire trahissent bientôt, en effet, le secret de sa retraite. Il a commis, d’ailleurs une seconde imprudence en faisant chaque soir ouïr son cri lugubre du haut de la roche qu’il habite. Le braconnier, qui le déteste par jalousie de métier, et le chercheur de nids, qui le sait de bonne prise, renseignés pas ces divers indices, ont belle à le massacrer et à le surprendre de jour au sein de sa famille. Le Grand-Duc est devenu excessivement rare en France, ce dont je me félicite. On ne l’y rencontre plus guère que dans les grandes forêts de l’Est, Alpes, Jura, Vosges, Côte-d’Or, ou bien encore dans quelques contrées maritimes émaillées de falaises, comme la vieille Armorique. C’est d’ailleurs un oiseau de passage, et que pour cette raison on peut trouver partout vers certaines époques.

« Son nom du Grand-Duc lui vient d’une erreur des anciens qui avaient rêvé que les cailles opéraient leurs migrations semestrielles sous la conduite de ce chef (Dux, ducis, commandant d’armée). Les modernes n’ont eu garde de se départir en cette circonstance de leur méthode habituelle de constater leur respect pour l’antiquité, en acceptant ses contes. Ils ont donné un corps de réalité à la fable en l’incarnant dans un nom propre, nom absurde et barbare qu’il importe de changer.

« Le Grand-Duc et ses congénères, tapis durant le jour au fond des cavités les plus obscures, y passent de longues heures à cuver leurs orgies et à méditer de nouveaux crimes. Obligés de se cacher comme les meurtriers pour se soustraire aux justes répétitions de la vindicte sociale, leur haine pour la volatile s’échauffe de la solitude et de l’antipathie universelle qu’ils savent avoir méritée. Aussi la vésicule du fiel atteint-elle des proportions monstrueuses chez cette race de maudits ! »