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les coups précipités d’une aile vigoureuse qui lui sert d’égide, et souvent la victoire couronne ses efforts. Au reste, il n’a que ce fier ennemi : tous les Oiseaux de guerre le respectent, et il est en paix avec toute la nature ; il vit en ami plutôt qu’en roi au milieu des nombreuses peuplades des Oiseaux aquatiques, qui toutes semblent se ranger sous sa loi ; il n’est que le chef, le premier habitant d’une république tranquille, les citoyens n’ont rien à craindre d’un maître qui ne demande qu’autant qu’il leur accorde et ne veut que calme et liberté. »

Voilà, certes, s’écrie Le Maout, le portrait d’un roi constitutionnel, dans toute la beauté du mot ; mais on ne peut s’empêcher de penser que Buffon en écrivant cette utopie politique, avait perdu de vue le Cygne, dont il se faisait l’historien. L’Aigle pourrait à la rigueur être nommé le tyran de l’air, puisque tous les oiseaux sont exposés à sa voracité ; mais le Cygne n’est nullement le roi des oiseaux d’eau, puisque le moindre d’entre eux peut le braver impunément. En quoi l’Aigle et le Tigre abusent-ils de leurs forces ? Il leur faut une proie vivante, et ils s’en emparent à l’aide des moyens que la nature leur a donnés. Le Cygne est carnivore autant qu’herbivore, et il obéit à son instinct sans remords comme sans crime. Si même on tient compte de la quantité de victimes, le Cygne est beaucoup plus féroce que le Tigre, car celui-ci dévore beaucoup moins de Gazelles que l’oiseau n’avale de petits animaux. Mais laissons toutes ces flictions, que la raison ne peut supporter un instant, et hâtons-nous d’admirer la poésie appuyée sur la vérité.

« À la noble aisance, à la facilité, à la liberté de ses mouvements sur l’eau, on doit le reconnaître non seulement comme le premier des navigateurs ailés, mais comme le plus beau modèle que la nature nous ait offert pour l’art de la navigation. Son cou élevé et sa poitrine relevée et arrondie semblent, en effet, figurer la proue d’un navire fendant l’onde ;