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blanc verdâtre ; elle les couve seule pendant cinq semaines ; mais si le mâle ne partage pas l’incubation, il veille près de sa compagne pour écarter et pour poursuivre tout étranger qui voudrait s’approcher. Il a tant de force dans son aile qu’un coup bien appliqué peut casser la jambe à un homme. Il nous est pénible de faire main basse sur les riantes fictions inventées par les poëtes à propos de la voix mélodieuse du Cygne mourant ; mais comme la vérité est préférable même à la poésie, nous devons à nous-même et aux faits de protester contre ses charmantes créations poétiques.

Buffon a écrit sur le Cygne un magnifique chapitre. Nous en citerons les deux principaux passages qui suffiront au lecteur pour porter un jugement exact sur les qualités et les défauts de ce brillant génie. Écrivain sans égal, dit Le Maout, quand il décrit ce qu’il a observé, il n’est qu’un poëte élégant toutes les fois qu’il prête aux animaux des sentiments et des mœurs imaginaires.[1] « Dans toute société, dit Buffon, soit des animaux, soit des hommes, la violence fait les tyrans, la douce autorité fait les rois. Le Lion et le Tigre sur la terre, l’Aigle et le Vautour dans les airs, ne règnent que par la guerre, ne dominent que par l’abus de la force et par la cruauté ; au lieu que le Cygne règne sur les eaux à tous les titres qui fondent un empire de paix : la grandeur, la majesté, la douceur, avec des puissances, du courage, des forces et la volonté de n’en pas abuser, et de ne les employer que pour la défense. Il sait combattre et vaincre sans jamais attaquer ; roi paisible des Oiseaux d’eau, il brave les tyrans de l’air, il attend l’Aigle, sans le provoquer, sans le craindre ; il repousse ses assauts, en opposant à ses armes la résistance de ses plumes et

  1. Il y a en Australie des Cygnes noirs ; le banquier anglais Gurney, tristement célèbre par ses chagrins domestiques, a réussi l’année dernière à acclimater en Angleterre ces rares oiseaux. — (Note de l’Auteur.)