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à l’ombre de ses sœurs, ou dans leur vol sublime, poursuivant les étoiles d’un chant harmonieux, leur portaient le nom de Varus.

« Ce chant, dont parle toute l’antiquité, est-il une fable ? Les organes du chant, qu’on trouve si développés chez le cygne, lui furent-ils toujours inutiles ? Ne jouaient-ils pas dans une heureuse liberté quand il avait une atmosphère plus chaude, quand il passait le meilleur de l’année aux doux climats de Grèce et d’Italie ? On serait tenté de le croire. Le cygne, refoulé au nord, où ses amours trouvent mystère et repos, a sacrifié son chant, a pris l’accent barbare, ou il est devenu muet. La muse est morte ; l’oiseau a survécu.

« Sociable, disciplinée, pleine de tactique et de ressources, la grue, type supérieur d’intelligence dans ces espèces, devait, ce semble, prospérer, se maintenir partout dans son ancien empire. Elle a perdu pourtant deux royaumes : la France, qui ne la voit plus qu’au passage ; l’Angleterre, où maintenant elle hasarde rarement de déposer ses œufs.

« Le héron, au temps d’Aristote, était plein d’industrie et de sagacité. L’antiquité le consultait sur le beau temps, l’orage, comme un des plus graves augures. Déchu au moyen âge, mais gardant sa beauté, son vol qui monte au ciel, c’était encore un prince, un oiseau féodal ; les rois voyaient en lui une chasse de roi et le but du noble faucon. Si bien le chassa-t-on que sous François Ier il devint rare ; ce roi le loge autour de lui à Fontainebleau, y fait des héronnières. Deux ou trois siècles passent, et Buffon croit encore “qu’il n’y a guère de provinces où des héronnières ne se trouvent.” De nos jours, Toussenel n’en connaît qu’une en France, au nord du moins, dans la Champagne ; entre Reims et Épernay, un bois recèle le dernier asile où le pauvre solitaire ose encore cacher ses amours.

« Solitaire ! c’est là sa condamnation. Moins sociable que la grue, moins familier que la cigogne, il semble devenu farouche même aux siens, à celle qu’il aime. Il tient peu à la vie. Captif, il refuse souvent la nourriture, s’éteint sans plainte et sans regrets.

« Les oiseaux aquatiques, êtres de grande expérience, la plupart réfléchis et docteurs en deux éléments, étaient, dans leur meilleure époque, plus avancés que bien d’autres. Ils méritaient les ménagements de l’homme. Tous avaient des mérites d’originalité diverse. L’instinct social des grues, leur singulier esprit mimique, les rendaient aimables, amusantes. La jovialité du pélican et son humeur joyeuse, la tendresse de l’oie, sa faculté d’attachement, la bonté enfin des cigognes, leur piété pour leurs vieux parents, attestée par tant de témoins, formaient entre ce monde et nous des liens sympathiques que la légèreté humaine n’aurait pas dû briser barbarement. »