Page:LeMoine - Ornithologie du Canada, 1ère partie, 1861.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

l’histoire, la princesse outragée. D’où je crains fort que ceux qui ont cru d’après la fable que la romance du Rossignol était une complainte sur les malheurs de Philomèle et sur la perversité de Térée, n’aient été dupes de leur crédulité. La romance ou plutôt le nocturne du Rossignol n’est pas une complainte, mais bien une élégie amoureuse écrite pour une voix seule par un maëstro passionné. Et la passion brûlante qui respire en ce poëme et empêche de dormir l’infortuné inamorato, est la double jalousie de l’art et de l’amour.

« Le Rossignol, en effet, ne chante pas seulement pour attendrir le cœur de sa maîtresse et charmer ses ennuis ; il chante aussi et surtout pour qu’on l’admire et pour qu’on l’applaudisse ; il chante pour faire taire ses rivaux, pour les écraser sous le poids de sa supériorité, pour les tenir à distance du canton qu’il s’est adjugé. S’il n’atteint pas ce dernier but par la force de ses poumons, il a recours au combat ordinaire, au combat corps à corps ; car il faut d’une manière ou de l’autre qu’on lui fasse place nette. S’il est vaincu dans cette nouvelle rencontre, il s’expatrie comme le Pinson et va bien loin cacher sa honte. Beaucoup meurent sur le terrain du dépit de la défaite et des blessures reçues. On ne comprend pas à première vue, qu’une épée aussi offensive qu’un bec de Rossignol ou de Rouge-Gorge puisse donner la mort, mais le fait se reproduit si fréquemment qu’il n’est pas même contestable. L’habitude des duels à outrance se retrouve jusque chez les Fauvettes proprement dites, qui ont l’esprit moins batailleur que les Rossignols, et chez les Roitelets qui ont le bec encore plus mou et encore plus inoffensif que les Fauvettes.

« La quinzaine qui suit l’arrivée des Rossignols parmi nous est l’époque habituelle de ces joutes terribles. Les mâles dans ces espèces précèdent les femelles d’une semaine ou deux, afin d’avoir terminé leurs querelles pour le jour où celles-ci arrivent, et pour être en mesure d’offrir un établissement convenable aux belles voyageuses en quête de maris. Ainsi procèdent les Ortolans et quelques milliers