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leurs parents se mettent en campagne pour leur chercher de la pâture ; et, si l’on en croit les témoignages unanimes des habitants des montagnes, tandis que l’un bat les buissons, l’autre se tient sur un roc élevé ou sur la cime d’un arbre pour saisir le gibier au passage. Sa physionomie sévère et imposante, sa voix grave, son œil étincelant, ombragé par un sourcil saillant, son vol rapide, surtout sa force et son courage, le faisaient regarder par les anciens comme le symbole de la puissance et de la domination. On l’avait dédié au maître des dieux ; les souverains ainsi que les peuples belliqueux l’avaient adopté pour leur enseigne de guerre ; puis, pour flatter les dominateurs, on fit à l’aigle une réputation de noblesse[1] et de magnanimité qui ne s’accorde guère avec l’observation exacte des faits. »

Écoutons à ce sujet l’illustre Buffon, qui parle de l’aigle en poëte, plutôt qu’en naturaliste :

« L’aigle a plusieurs convenances physiques et morales avec le lion : la force et par conséquent l’empire sur les autres petits animaux, comme le lion sur les petits quadrupèdes ; la magnanimité, il dédaigne également les petits animaux et méprise leurs insultes : ce n’est qu’après avoir été longtemps provoqué par les cris de la corneille et

  1. « Près du Havre, dit Michelet, j’observai ce qu’on peut croire en vérité de la royale noblesse de l’Aigle, surtout de sa sobriété. Un Aigle qu’on a pris en mer, mais qui est tombé en trop bonnes mains, dans la maison d’un boucher, s’est fait si bien à l’abondance d’une viande obtenue sans combat, qu’il paraît ne rien regretter. Aigle Falstaff, il engraisse et ne se soucie plus guère de la chasse, des plaines du ciel. S’il ne fixe plus le soleil, il regarde la cuisine, et se laisse, pour un bon morceau, tirer la queue par les enfants.
    « Si c’est à la force à donner les rangs, le premier n’est pas à l’Aigle, mais à celui qui figure dans les Mille et une nuits sous le nom de l’Oiseau Roc, le condor, géant des monts géants, des Cordillères. C’est le plus grand des Vautours, le plus rare heureusement, le plus nuisible, n’aimant guère que la proie vivante. Quand il trouve un gros animal, il s’ingurgite tant de viande qu’il ne peut plus remuer : on le tue à coups de bâtons. »