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decine, était l’art principal du Pic, depuis des milliers d’années. Il interrogeait, sondait, voyait par l’ouïe les lacunes caverneuses qu’offrait le tissu de l’arbre. Tel, sain et fort en apparence, que, pour sa taille gigantesque, a désigné, marqué le marteau de la marine, le Pic, bien autrement habile, le juge véreux, carié, susceptible de manquer de la manière la plus funeste, de plier en construction, ou de faire une voie d’eau et de causer un naufrage.

« L’arbre éprouvé mûrement, le Pic se l’adjuge, s’y établit : là il exercera son art. Ce bois est creux, donc gâté, donc peuplé ; une tribu d’insectes y habite. Il faut frapper à la porte de la cité. Les citoyens, en tumulte, voudront fuir ou par dessus les murailles de la ville, ou en bas, par les égouts. Il y faudrait des sentinelles ; au défaut, l’unique assiégeant veille, et de moment en moment regarde derrière pour happer les fugitifs au passage, à quoi sert parfaitement une langue d’extrême longueur qu’il darde comme un petit serpent. L’incertitude de cette chasse, le bon appétit qu’il y gagne, le passionnent ; il voit à travers l’écorce et le bois ; il assiste aux terreurs et aux conseils du peuple ennemi. Parfois, il descend très-vite, pensant qu’une issue secrète pourrait sauver les assiégés.

« Un arbre sain au-dehors, rongé, pourri au-dedans, c’est une terrible image pour le patriote qui rêve au destin des cités. Rome, au temps où la république commençait à s’affaisser, se sentant semblable à cet arbre, frissonna un jour que le Pic vint tomber en plein forum sur le tribunal, sous la main même du préteur. Le peuple s’émut grandement, et roulait de tristes pensées. Mais les devins mandés arrivent : si l’oiseau part impunément, la république mourra ; s’il reste, il ne menace plus que celui qui l’a dans sa main, le préteur. Ce magistrat, qui était Ælius Tubero, tua l’oiseau à l’instant, mourut lui-même bientôt, et la république dura deux siècles encore.

« Cela est grand, non ridicule. Elle dura par ce noble appel au dévouement du citoyen. Elle dura