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Comme grand écrivain[1], il a aussi des droits incontestables à notre admiration. Ses descriptions très souvent ne le cèdent guère à ses dessins. Paysage champêtre, esquisses de mœurs, jusqu’à la trace légère de l’Aborigène sur le feuillage des

  1. Voici entre bien d’autres beaux tableaux, celui du Moqueur de Virginie, le Roi du Chant, dans le nouveau monde : on verra qu’Audubon est non seulement le Prince des naturalistes de l’Amérique, mais encore un habile artisan de la phrase, comparable aux écrivains les plus chaleureux du vieux monde.
    Le cri habituel de cet Oiseau a une expression triste ; mais, dans la saison des œufs, le chant du mâle est d’une mélodie ravissante : « L’Européen, qui entend cette voix vigoureuse et passionnée à travers le feuillage du Magnolia de la Louisiane, la compare avec l’hymne nocturne du Rossignol, et ressent, dit Audubon, un secret mépris pour ce qu’il admirait autrefois. Le Bignonia et les Ampelopsis s’enlacent autour des gros arbres, les dépassent, les couronnent, et retombent en festons ; des fleurs balsamiques, des grappes mûrissantes, des corymbes empourprés, une atmosphère tiède et lumineuse enivrent tous vos sens à la fois. Levez les yeux : sur une branche de Magnolia la femelle repose ; le mâle, aussi léger que le Papillon, décrit autour d’elle des cercles rapides, remonte, descend, remonte encore, ses belles plumes un peu développées, saluant de la tête sa douce compagne, et, toutes les fois que son vol s’élance vers le ciel, recommençant son chant de joie, le plus brillant de tous les chants. Il ne débute pas, comme le Rossignol, par de longs et mélancoliques soupirs : il attaque franchement son thème musical, qu’il module ensuite, qu’il gradue, qu’il varie avec un art incroyable, ayant soin de faire entrer dans la composition de son œuvre l’imitation des plus doux bruits dont la nature lui a fourni le modèle, le murmure des feuilles, le roulement lointain de la cataracte, le gazouillement du ruisseau voisin. Ce chant accompagne son vol, mais ce n’est qu’un prélude encore. Lorsqu’il vient se poser sur le rameau qui soutient sa compagne, ses notes deviennent moins brillantes, plus moelleuses, plus exquises. Puis il repart, s’abaisse, remonte, parcourt de l’œil tous les environs, pour s’assurer que nul ennemi ne menace son repos ; il bat des ailes, et semble, par ses mouvements cadencés, exécuter dans les airs une danse folâtre ; puis, il revient se percher près