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bois, reposant sous votre alcôve de sapins, vous trouvez qu’une truite fraiche, rôtie sur la braise, est un met exquis, digne de Brillat-Savarin, alors tapez-là, vous êtes des miens. Je vous dis, moi, qu’eussiez vous vécu aux beaux jours de Rome, Ausone, Oppien, Ovide vous eussent consacré des hexamètres et que, si, aujourd’hui, votre mérite est méconnu, inapprécié, c’est un signe infaillible du malheur des temps, une preuve manifeste de la dégénération de l’espèce humaine.

Admettons que, sous l’influence du feu sacré, vous méditiez la capture de saumons, de bars, de truites et de brochets, et que vous vous adressiez à moi pour une

    « Un canot allège, avec trois bons avirons, file vite ; en cinq minutes nous arrivions à l’abordage. Je me disposais à les seconder de mon mieux ; je me préparais à frapper un grand coup d’aviron sur la tête de l’animal, quand M. I… me dit : « Gabriel, à moi le premier coup, ! » l’animal, reçut l’assaut sans broncher ; j’encourageai ces messieurs à frapper dru guidant le canot avec mon aviron. L’ours plonge pour éviter un coup, l’eau devient rouge du sang qui lui sortait du nez.

    « Il va s’échapper, dis-je : saisissez-le par la queue ! non ; par le poil du dos, l’un de vous, et l’autre tâchera de l’étourdir à force de coups sur le museau ! L’ours nous traînait à la remorque ; mais voici bientôt une autre fête. Irrité, il plonge, revient à la surface, du côté opposé, saisit de ses griffes le bord du canot, qui vient prêt à chavirer, et s’emplit à moitié d’eau. La lutte devenait sérieuse ; je ne sais ce qui en serait résulté, lorsque M. I… de s’écrier : « Nous coulons à fond et je ne puis nager ! » Je vous assure qu’en ce moment, la confusion et le clapotis d’eau rougie de sang dans notre canot, faisaient dresser les cheveux ; le canot s’emplit.

    « Vidons le canot avec nos chapeaux ! vite ! pousse à terre !  » tel fut le cri de détresse de mes compagnons d’armes. Ça me faisait mal au cœur, de voir évader l’ours ; je me contentai de dire : « La peau de cet ours ne partira pas cet été pour l’Angleterre ! » Je gagnai, en nageant, la rive, avec M. S… et nous revînmes prendre M. I… accroché au canot.

    « J’avais eu plus de chance avec un ours que j’avais rencontré quelques années auparavant, sur le même lac, en compagnie de M. Wm. White, et de son épouse, tous deux de Québec, le jour de leur mariage : celui-là, nous l’amarinâmes bel et bien. »