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les bons croyants, eut-il à distribuer les rôles parmi ses disciples, croirait vous honorer encore que trop, en vous proposant pour pêcher des goujons, des écrevisses ou de la barbotte dans un puits de six pieds de diamètre. Si, au contraire, vous avez bon bras, bon œil, bonne jambe ; si, vous ne craignez pas de vous plonger dans l’eau jusqu’à la ceinture, en péchant ; si, les moustiques ne vous inspirent aucun effroi ; si, même vous mettez au défi les maringouins ; si, après une fatigante course dans les

    Gardes de la Reine, les Grenadiers Guards, venus avec le comte de Durham en 1838, battaient la campagne en tous sens avec chevaux et chiens, prêts à faire vingt lieues à la raquette, rien que pour voir la piste d’un caribou Gabriel avait vu tout cela ; il avait servi de guide au comte de Caledon, aux capitaines Grimston, Mundy et Windham. Ô heureux temps ! Il racontait aussi, avec une piquante originalité, une lutte sanglante que lui et deux gros messieurs de Québec, comme il les nommait (l’hon. M. I… et M. C. S…), eurent à soutenir, pendant une partie de pêche sur le lac Saint-Charles, pendant l’été de 1851…

    M. I…, tout récemment admis au barreau de Québec, s’était laissé aller à la tentation de pêcher de la truite sur ce lac, pendant la vacance de juillet, avec un ami. La parole est à Gabriel :

    « Il y avait quelque temps que nous pêchions en silence, tous trois assis dans mon canot ; ça mordait peu. En détournant la tête, qu’est-ce que je vois ! un ours, noir comme le diable, au milieu du lac et traversant à la nage vers la rive opposée, à l’endroit le plus large ? Avez-vous peur des ours, leur dis-je ?

    « Mais ! non ! s’écrièrent-ils ! Prenons-le vif !

    « J’eus à peine le temps de dire que nous n’avions ni fusil, ni couteau de chasse, ni autre arme que nos avirons et nos cannes à pèche.

    « Ramons ! ramons ! s’écrièrent, mes gaillards ! à l’ours ! à l’ours !

    « Ça me faisait un peu l’effet comme si ces gros messieurs pensaient que c’était aussi aisé de prendre sans armes, un ours dans le lac qu’une truite à la ligne. J’enfonce mon bonnet rouge, trousse mes manches, prend une chique et répète avec eux : « Ramons ! »

    « Tâchons de ne pas briser la peau, ajoute M. S… car je veux l’envoyer à mes amis en Angleterre.

    « Doucement, monsieur, doucement ! prenons-le d’abord ! « ramez donc ! ramez donc ! »