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beuglait, comme un taureau, dans les ajoncs à l’ouest de notre nacelle ; la truite mordait peu.

— Ça mordra plus à la tombée du jour, nous dit Gabriel : l’eau est trop claire, le poisson nous voit de loin. Descendons à l’hôtel Verret, prendre le souper qui nous attend.

— Dites donc, Gabriel, est-ce un chien ou un ours, qui trottine le long de ce sentier, m’écriai je, en regardant dans la direction de la montagne ?

— Un ours, bien sûr ! et un gros, répliqua le patriarche des pêcheurs du lac ; mais celui-là n’est ni pour vous, ni pour moi ; nous n’avons pas de fusils. Maître Martin est venu sans doute boire dans le lac ; peut-être, il a traversé d’une pointe à l’autre. Savez-vous que les ours nagent admirablement bien ; ça ne leur coûte pas de traverser le lac à la nage, quand ils en ont envie. J’en parle pour les avoir vus.

— Gabriel a raison, rétorqua d’un air convaincu, mon excellent ami, M. Panet. J’ai moi-même guetté toute une heure, un ours qui s’était aventuré sur la grande langue de sable, dans le fleuve, près de l’église de la Pointe-aux-Trembles, un jour d’orage. Quand je lui lâchai ma balle, il était hors de portée de fusil ; il prit l’eau, et nagea dans la direction de la rive opposée, vers Saint Antoine. Le lendemain, après l’heure du bureau, je me trouvais par hasard au marché Champlain, près du débarcadère des petits vapeurs côtiers. Le steamer de Saint Antoine accosta ; je vis sur le pont un ours énorme, mort. La curiosité me fît demander où la bête avait été tuée : « Monsieur, » me dit le propriétaire, « je l’ai tiré hier soir, sur la grève de Saint Antoine, tout étrange que cela puisse vous sembler. C’était à la brunante ; l’animal venait du large, de la Pointe-aux-Trembles peut-être ? ma balle ne fut pas la première qu’il reçut, car vous voyez, en lui examinant la