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LA DÉBACLE 11

Les paysans heureux, pour mieux voir le spectacle
Qu’offrait, ce printemps-là, la tardive débâcle,
Jusques au bord des eaux venaient de toute part,
Et, par des cris joyeux, saluaient le départ
De ces bancs de cristal dont l’attitude altière
Avait voulu braver la saison printanière.
On voyait accourir la troupe des enfants
Jetant, dans le ciel pur, mille cris triomphants;
Les cheveux enchaînés sous de molles résilles,
On voyait accourir l’essaim des jeunes filles,
En corsage d’indienne, en modestes jupons.
Leurs bouches prodiguaient des sourires fripons
Et leurs voix frappaient l’air de notes argentines.
Elles semblaient ainsi de joyeuses ondines
Que le printemps rendait à leurs limpides eaux,
Et qui cherchaient leur grotte au milieu des roseaux.

Mais quelle est cette vierge à l’air doux et candide
Qui laisse sa compagne et va, d’un pas timide,
S’asseoir sur le vieux tronc d’un orme renversé ?
De quel touchant espoir son cœur est-il bercé ?
Quelle peine nouvelle ou quelle inquiétude
Lui font, quand tout est gai, chercher la solitude ?
La joie et la douleur n’aiment guère le bruit.
Son regard, attaché sur la glace qui fuit,
De temps en temps se lève et se porte à la rive,