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l’affaire sougraine

— Je suis née pour le malheur, pensait Léontine, inutile de chercher à fuir ma destinée, je serai malheureuse.

Elle devenait fataliste. Il n’y a pas de destinée absolument nécessaire. S’il y en avait une il n’y aurait point de liberté, par conséquent point de responsabilité ; donc ni bien, ni mal. Il y a une destinée que l’on est libre de suivre ou de ne pas suivre. On est poussé vers cette destinée, mais on peut résister ; on est sollicité, mais l’on discute les motifs.

Son amour pour Rodolphe ne faisait que grandir devant les obstacles, mais sa raison aussi parlait plus haut, et son cœur saignait à la pensée de causer une peine mortelle à des personnes dont l’affection pour elle avait été si profonde. À l’aspect de la douleur de sa mère, elle se sentait ébranlée dans ses résolutions et trouvait naturel le sacrifice de sa personne.

Voici comment, presque tout à coup, elle en était venue à cet état d’abnégation ou d’anéantissement moral.

Elle avait remarqué les visites fréquentes de la Langue muette et le trouble que la présence de cet étranger jetait dans l’esprit de sa mère adoptive. Sans chercher des mystères que sa naïve innocence