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l’affaire sougraine

monde, flânant au soleil où dormant à l’ombre, vidant la choppe de bière dans les tavernes du sous sol, ou grugeant des bananes sous l’auvent des marchandes de fruits ; pendant qu’il parcourait, demandant son pain au travail de la ferme, les vastes champs couverts de maïs d’or et les prairies vertes comme des mers profondes, il songeait au pays, aux parents, aux amis, aux enfants, à tout ce qu’il avait aimé, ce qui est la vie, l’espoir, le bonheur, et il se trouvait bien malheureux. Des larmes mouillaient ses paupières. Ses enfants surtout, ses deux petits garçons, comme il aimait se les rappeler ! Il évoquait leur souvenir, et ils apparaissaient devant lui dans la fraîcheur de leur enfance, comme aux jours de jadis. Il les voyait babiller comme des oiseaux. Il s’imaginait entendre leur voix dans le murmure des ruisseaux, dans le gazouillement des feuillages. Il voyait encore étinceler leurs yeux noirs, rire leur bouche mutine.

Mais eux se souvenaient-ils de lui ? Voulaient-ils s’en souvenir ? Le croyaient-ils coupables ou savaient-ils son innocence ? Ils avaient peut-être oublié son nom… Oublier le nom de son père !… Ah ! comme il eut donné cher pour les voir, n’aurait-ce été qu’un instant. Comme ils devaient être changés ! Ils étaient devenus des