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l’affaire sougraine

nues, seul, dans les villes bourdonnantes comme des ruches d’abeilles. C’est dans le désert que je me trouvais le moins isolé ; alors j’évoquais en paix les images chéries de ma jeune femme et de ma petite fille. À nous trois nous peuplions la solitude. Dans les villes je me croyais abandonné de ces deux êtres que j’aimais, comme on aime l’ombre d’un chêne au milieu d’une plaine ensoleillée, les rayons du soleil, dans les sombres ravins des Montagnes Rocheuses. Une chance insolente m’a toujours poursuivi depuis que je n’ai plus à faire le bonheur de personne. J’ai ramassé les pierres précieuses et les diamants comme d’autres ramassent les grains d’or. J’en ai jeté à tous les vents. J’étais irrité de cette moquerie du sort. Qu’avais-je besoin de découvrir ces mines inépuisables que je ne cherchais point ? Elles pouvaient rester enfouies dans le sein de la terre comme le désespoir est enfoui dans mon cœur.

Rien comme l’infortune n’inspire l’intérêt. Il ne manquait plus à la Longue chevelure pour être un héros que des chagrins profonds, et, tout à coup, il venait de dévoiler, dans un sanglot, une souffrance longue de vingt années, un désespoir qui ne finirait qu’avec sa vie. On le dévorait des yeux, on buvait ses paroles. Léontine qui souffrait depuis un