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FÊTES ET CORVÉES

Mais la récolte est rentrée, le champ est nu, et le chaume dresse partout ses tiges perçantes. Il ne reste plus qu’une gerbe à faire, c’est la dernière, c’est la grosse gerbe ! Tous les travailleurs redoublent de zèle. Deux harts des plus longues lui font une ceinture qui fait gémir sa taille souple. On la met debout ; on noue des fleurs à sa tête d’épis et des rubans à sa jupe de paille. Puis, en se tenant par la main, l’on danse autour des rondes alertes. On épuise le répertoire des vieux chants populaires, et l’on remplit le ciel de rires, de murmures et de cris. Les petits oiseaux sont jaloux de ces chants nouveaux qui s’élèvent du sein de la prairie : ils protestent de leur plus douce voix ; et les bêtes à cornes, surprises ou émerveillées, regardent de loin avec leurs grands yeux pensifs.

Enfin, la gerbe est placée au milieu d’une grande charrette, tous les moissonneurs s’entassent alentour, et le cheval, orné de pompons rouges ou bleus, selon sa couleur politique, se dirige à pas lents, — écoutant crier l’essieu, ou songeant à l’inégalité des conditions — vers la grange où la gerbe orgueilleuse va dormir, oubliée parmi les petites et les humbles, son dernier sommeil.