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ÉVANGÉLINE

« Aussi leur devint-il un objet de terreur.
« Je résolus enfin, mais non pas sans douleur,
« De le laisser partir pour un lointain voyage.
« Il doit se procurer, dans un petit village,
« Des mulets espagnols aux pieds sûrs et mordants ;
« Il doit suivre, de là, sous des cieux moins ardents
« Les sauvages du nord dans leurs forêts profondes
« Il veut chasser, partout, le castor dans les ondes,
« Et la bête féroce au fond des bois épais.
« Calme-toi, mon enfant, et goûte encor la paix ;
« Nous saurons retrouver cet amant téméraire.
« Son perfide canot a le courant contraire.
« Demain nous partirons sitôt que le matin
« Versera sur les eaux un reflet incertain :
« Gaîment nous voguerons sur la vague irisée,
« Près des bords scintillants sous la molle rosée ;
« Nous rejoindrons bientôt l’amoureux déserteur,
« Et le ramènerons confus de son bonheur ! »


Alors, on entendit des voix vives et gaies :
On vit des jeunes gens franchir les vertes haies
Qui bordaient la rivière auprès de la maison :
Ils portaient en triomphe, à travers le gazon,
Michel, le vieux chanteur, le vieux barde rustique.
Dispensant aux mortels le chant et la musique ;
N’ayant d’autres soucis que d’égayer les cœurs ;
Que de mêler, parfois, quelques souris aux pleurs,
Le vieux Michel semblait un des dieux de la fable.
Il était renommé pour sa manière affable,