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évangéline

La lune se leva. Ses limpides rayons
Tracèrent, sur les eaux, de lumineux sillons ;
Coururent mollement le long de chaque branche
Qui parut se vêtir d’une écorce plus blanche ;
Glissèrent à travers le feuillage des bois
Qui formait des arceaux, des voûtes, des parois,
Comme à travers les ais d’un vieux mur en ruine
Glissent les fils d’argent d’une molle bruine.
La clarté de la lune aux différents objets
Donnait de grands contours et d’étranges aspects.
Tout parut se confondre en une masse grise ;
Tout sembla revêtir une forme indécise.
Voguant silencieux les malheureux proscrits
Sentirent un grand trouble entrer dans leurs esprits :
Le noir pressentiment d’un mal inévitable
Leur fit paraître encor ce lieu plus redoutable ;
Et leurs cœurs, effrayés des menaces du sort,
Se serrèrent soudain et tremblèrent plus fort ;
De même que l’on voit la frêle sensitive
Replier sa corolle et se pencher craintive,
Quand, au loin dans la plaine, un coursier au galop,
Fait retentir le sol de son poudreux sabot.
Mais une vision gracieuse et divine
Vint distraire et charmer l’âme d’Évangéline.
Sa brûlante pensée avait pris un beau corps :
Un fantôme brillant, devant ses yeux alors,
Flottait, avec mollesse, aux rayons de la lune,
Et semblait lui sourire en sa longue infortune.
Celui qu’elle voyait dans cette vision,
Que la lune d’argent portait sur un rayon,
C’était le fiancé que demandait son âme !
Il lui tendait les bras, et chaque coup de rame