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ÉVANGÉLINE

Vers le rivage ombreux de la plus riante île
Les voyageurs lassés guident l’esquif agile,
L’amarrent fortement au plus noueux rameau
D’un grand saule-pleureur qui se penche sur l’eau,
Et se dispersent tous sous les épaisses treilles.
Fatigués du travail et d’une nuit de veilles,
Ils dormirent bientôt d’un sommeil bienfaisant.
Au-dessus de leurs fronts, sourcilleux et pesant,
Le cèdre séculaire élevait son grand cône :
A ses bras étendus s’accrochait la bignone
Dont la coupe d’argent se balançait dans l’air.
Et le vif colibri, luisant comme un éclair,
Volait, de fleur en fleur, avec un doux bruit d’aile,
Et caressait leur sein de son bec infidèle.
La vigne suspendait ses rameaux tortueux,
Son feuillage enlacé, ses ceps durs et noueux,
Et formait des treillis, des échelles étranges
Comme celle où Jacob vit, en songe, deux anges,
Deux anges du Seigneur descendre et remonter.
Les doux reflets du jour faisaient luire et flotter
Devant l’esprit rêveur de la jeune orpheline
Un espoir ravissant, une image divine.


Cependant sur les flots unis comme un miroir
Venait rapidement un esquif au flanc noir.
Elégant et léger il effleurait les lames.
Des chasseurs le montaient, et leurs flexibles rames
Battaient l’onde, en cadence, au refrain des chansons :
Ils allaient vers le nord, la terre des bisons.