Page:LeMay - Essais poétiques, 1865.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
ÉVANGÉLINE

« Il goûte le repos dans le sein de la terre,
« Et moi je traîne encore une existence amère ! »
Parfois elle entendait un bruit, une rumeur
Qui lui rendait l’espoir et ranimait son cœur ;
Elle parlait aussi quelquefois, sur sa route,
A des gens qui disaient avoir connu, sans doute,
Cet titre bien aimé qu’elle cherchait en vain ;
Mais c’était, par malheur, dans un pays lointain.
— « Oh ! oui, disaient les uns, touchés de sa tristesse.
« Nous l’avons bien connu Gabriel Lajeunesse !
« Un aimable garçon dont les tristes malheurs
« Nous ont jadis, souvent, fait répandre des pleurs !
« Son père l’accompagne : il se nomme Basile :
« C’est un bon forgeron, un vieillard fort agile.
« Ils sont coureurs-des-bois ; ils sont chasseurs tous deux,
« Et parmi les chasseurs leur renom est fameux.»
— « Gabriel Lajeunesse ? il fut, disaient les autres,
« S’il nous en souvient bien, assurément des nôtres.
« De la Louisiane il franchit avec nous
« Les plaines sans confins et les nombreux bayous. »
Souvent on lui disait : « Ta misère, ta peine,
« Pauvre enfant, sera-t-elle aussi longue que vaine ?
« Pourquoi toujours l’attendre et l’adorer toujours ?
« Il a peut-être, lui, renié ses amours.
« Et n’est-il pas d’ailleurs, dans nos petits villages,
« Des garçons aussi beaux et même d’aussi sages ?
« Combien seraient heureux de vivre auprès de toi !
« Tu charmerais leur vie ; ils béniraient ta loi.
« Et Baptiste Leblanc, le fils du vieux notaire,
« A pour toi tant d’amour qu’il ne saurait le taire ;
« Donne-lui le bonheur en lui donnant ta main ;
« Et que dès ici-bas ta peine ait une fin. »