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ÉVANGÉLINE

Une lueur parut du côté du midi.
Quand de la lune d’août le disque ragrandi
S’élève, vers le soir, à l’horizon de brume,
Rouge comme du sang, tout l’espace s’allume.
Aux reflets argentés de l’astre de la nuit
Chaque brin de verdure et chaque feuille luit ;
La mer semble rouler des flammes au rivage,
Et l’on dirait qu’au loin brûle une vaste plage.
Telle on vit, vers le sud, dans cette nuit d’horreur,
S’élever et grandir l’effrayante lueur :
Le bourg semblait couvert d’un sanglant et lourd voile ;
Dans un ciel embrasé l’on vit pâlir l’étoile ;
Puis elle disparut comme devant le jour ;
Les coteaux, les forêts et les toits d’alentour
Reflétaient des clartés inconstantes et vagues ;
De sanglantes lueurs roulaient avec les vagues ;
Sur le bord de la mer, près des flots écumants,
Les sables scintillaient comme des diamants,
Les voiles, les huniers des navires superbes
De feux aériens semblaient lancer des gerbes.
Le sol parut trembler ; il se fit un grand bruit
Que redirent longtemps les échos de la nuit ;
Et l’on vit s’écrouler, tout en feu, le village,
Comme un arbre puissant qu’abat, pendant l’orage,
Les carreaux de la foudre ou les fiers aquilons.
Une épaisse fumée, en sombres tourbillons,
S’éleva vers le ciel avec d’affreux murmures.
Les flambeaux enflammés du chaume des toitures,
Emporté dans les airs par un vent irrité,
Sillonnèrent longtemps l’ardente obscurité.
Les flammèches, la cendre, en brûlante poussière,
Tombèrent sur les flots de l’étroite rivière