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ÉVANGÉLINE

Comme un pâle fantôme, anxieuse et plaintive,
Marchant à pas pressés, Évangéline arrive
À l’église où régnait un silence de mort.
Elle cherche les siens et pleure sur leur sort ;
Elle entre au cimetière ; elle s’arrête, écoute :
Tout est calme et muet sous la modeste voûte.
Un noir pressentiment, une vague souleur
Dans son cœur abattu se mêle à la douleur ;
D’une tremblante voix deux fois elle s’écrie :
« Gabriel ! Gabriel ! » et de sa main flétrie
Elle assèche les pleurs qui coulent de ses yeux.
Mais rien ne lui répond : tout est silencieux,
Et les tombeaux des morts, dans le sein de la terre,
Élèvent plus de voix, cachent moins de mystère
Que ce temple qui semble un tombeau de vivants !
Marchant le front courbé sur les sables mouvants
Elle revient alors, l’esprit rempli de trouble,
Au foyer paternel où son chagrin redouble
A l’aspect désolé de chaque appartement.
Sous le toit solitaire entraient rapidement
Les ombres de la nuit et les spectres livides ;
Les fantômes du soir hantaient les chambres vides.
Le souper sur la table était encore entier
Et la flamme dormait sous la cendre, au foyer.
Sur l’escalier ses pas faiblement retentirent
Et de tristes échos à leur bruit répondirent.
De nuages épais le ciel était couvert.
Elle entendit frémir, près du châssis ouvert,
Le sycomore ombreux dont le riche feuillage
Crépitait sous la pluie et le vent d’un orage.
Déchirant le ciel noir d’éblouissants éclairs
D’une horrible lueur firent briller les airs.