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ÉVANGÉLINE

Que le vent de l’orage emporte sur les flots,
Lever ses poings nerveux en rugissant ces mots :
— « A bas ! ces fiers Anglais ! Ils ne sont point nos maîtres !
« A bas ! ces étrangers ! ces perfides ! ces traîtres
« Qui viennent en brigands détruire nos moissons !
« Qui veulent nous chasser pour piller nos maisons ! »
Il en aurait bien dit sans doute davantage,
Mais un brutal soldat à la mine sauvage,
Le frappant sur le front d’un gantelet de fer
L’étendit à ses pieds avec un ris d’enfer.


Pendant que cette scène affreuse et sans exemple
Se déroule, en plein jour, au milieu du saint temple,
La porte du chœur s’ouvre et le père Félix,
Dans sa tremblante main tenant un crucifix,
Vêtu de l’aube blanche et de la sainte étole,
Et le front entouré comme d’une auréole,
S’avance d’un pas sûr jusqu’au pied de l’autel.
Son cœur est abimé dans un chagrin mortel ;
Il voit son cher troupeau qui crie et se désole,
Lui parle avec douceur, et sa grave parole
Retentit comme un glas le soir du jour des morts :
— « Hélas ! que faites-vous ? et quels sont ces transports ?
« Pourquoi donc ces clameurs ? Pourquoi cette colère ?
« J’ai pendant quarante ans travaillé comme un père
« À vous rendre plus doux et plus humbles de cœur.
« Et vous ne savez point supporter le malheur !
« Aux âmes des payens vos âmes sont pareilles !
« De quoi m’ont donc servi la prière et les veilles,